Alex Mucchielli |
Dans le monde de la formation professionnelle, la mode s'est emparée des "jeux sérieux". On parle partout des serious game, tout le monde veut son serious game... En fait, lorsque l'on regarde de près ce qui est proposé, on s'aperçoit de la grande variabilité des réalisations. Certains serious games ne sont même que des simulations, par exemple. Se pose donc un problème d'appréciation de la qualité de ces jeux sérieux et, par conséquent de la définition de critères d'évaluation.
Les caractéristiques des jeux
D’après Caillois, les jeux sont définis par six caractéristiques bien particulières, caractéristiques qui font d'ailleurs leur attrait.
Le jeu est une activité libre qui a un caractère ludique et facultatif : c'est une activité séparée des autres activités de la vie et elle est circonscrite dans des limites d'espace et de temps ; c'est une activité incertaine : son issue n'est pas connue à l'avance ; c'est une activité improductive qui ne crée ni biens, ni richesses (même les jeux d'argent ne sont qu'un transfert de richesse), c'est une activité réglée soumise à des lois spéciales en dehors de l'ordinaire ; enfin, c'est une activité fictive qui est accompagnée d'une conscience fictive de la réalité seconde.
Les spécialistes ont admis que les caractéristiques : "activité libre" et "activité improductive" des jeux pouvaient être laissées de côté sans que cela porte atteinte à la nature profonde du jeu. En effet, si un joueur, joue, il ne peut être sûr que c'est en total liberté qu'il a fait ce choix, car il ne peut avoir accès à ses motivations profondes ou, même aux contraintes sociales qui le manipulent. Par ailleurs, il y a très peu de jeux qui ne servent à rien, qui ne produisent rien pour les joueurs. Le moindre jeu produit chez le joueur qui s'y adonne, une habileté à jouer ce jeu, un jeu apprend toujours à maîtriser des règles... Il n'y a donc pas d'improductivité d'apprentissage.
Dans la typologie de Caillois, de nombreux autres critères possibles de classement ne sont pas explicitement pris en compte car ils se retrouvent, d'une manière ou d'une autre, dans les diverses caractéristiques énoncées.
Le jeu est une activité libre qui a un caractère ludique et facultatif : c'est une activité séparée des autres activités de la vie et elle est circonscrite dans des limites d'espace et de temps ; c'est une activité incertaine : son issue n'est pas connue à l'avance ; c'est une activité improductive qui ne crée ni biens, ni richesses (même les jeux d'argent ne sont qu'un transfert de richesse), c'est une activité réglée soumise à des lois spéciales en dehors de l'ordinaire ; enfin, c'est une activité fictive qui est accompagnée d'une conscience fictive de la réalité seconde.
Les spécialistes ont admis que les caractéristiques : "activité libre" et "activité improductive" des jeux pouvaient être laissées de côté sans que cela porte atteinte à la nature profonde du jeu. En effet, si un joueur, joue, il ne peut être sûr que c'est en total liberté qu'il a fait ce choix, car il ne peut avoir accès à ses motivations profondes ou, même aux contraintes sociales qui le manipulent. Par ailleurs, il y a très peu de jeux qui ne servent à rien, qui ne produisent rien pour les joueurs. Le moindre jeu produit chez le joueur qui s'y adonne, une habileté à jouer ce jeu, un jeu apprend toujours à maîtriser des règles... Il n'y a donc pas d'improductivité d'apprentissage.
Dans la typologie de Caillois, de nombreux autres critères possibles de classement ne sont pas explicitement pris en compte car ils se retrouvent, d'une manière ou d'une autre, dans les diverses caractéristiques énoncées.
Des critères pour évaluer les serious games
Ceci nous amènent à proposer de retenir six critères particulièrement adaptés aux serious games. Ces critères sont situés à l'intérieur des caractéristiques de Caillois. Ils vont servir au positionnement des jeux sérieux sur une échelle qualitative allant du : "Très bon jeu sérieux", au : "Mauvais jeu sérieux".
Ces critères sont :
- le degré de compétition proposé,
- le degré simulacre atteint,
- le degré d'immersion permis,
- la possibilité d'addiction,
- la structure pédagogique invisible du jeu,
- le degré d'émotion suscitée.
Le degré de compétition proposé
Les jeux entrainent, quasiment toujours, une évaluation des performances réalisées, ne serait-ce que l'auto-évaluation de ses performances que fait le joueur lui-même. Dans les jeux informatiques, cette évaluation repose sur un calcul des performances donnant lieu à des gains ou des pertes de "points" par rapport à un modèle de performances caché. Ceci permet des compétitions, des défis, des classements et d'acquérir des appartenances à des cercles de niveaux d'habilité. Ces éléments de compétition sont plus ou moins forts et plus ou moins mis en avant dans le jeu. Nous avons dans les jeux sérieux, tous les éléments qui ont été repris dans les ludifications (gamifications) des diverses activités non essentiellement ludiques.
Le degré de simulacre atteint
Ce degré de simulacre est fortement lié à la qualité du monde ludique proposé par le jeu sérieux. Un "monde ludique", c'est un monde qui n'est pas le monde de la vie de tous les jours ni, évidemment, celui du travail. Ainsi, si un jeu de vente vous met dans un univers quasi professionnel, il n'atteint pas un fort degré de simulacre. Si l'univers proposé par le jeu est très éloigné de la réalité, tout en en respectant les règles implicites de fonctionnement, alors il atteint un fort degré de simulacre. Il n'est pas évident de créer de tels mondes ludiques. Un monde ludique, c'est justement un monde qui vous entraine dans une fiction divertissante, éloignée des pesanteurs du réel habituel. On pourrait dire que le degré de simulacre atteint est lié à la force du dépaysement proposé.
Le degré d'immersion permis
La possibilité d'immersion dans le jeu sérieux est liée à plusieurs éléments : l'univers intéressant et agréable du jeu ; l'intrigue et le scénario captivants du jeu et, la sympathie plus ou moins forte éprouvée pour le héros et pour son rôle. Nous retrouvons là les travaux de Jacques Henriot (1989) proposent une théorie dans laquelle il distingue : l’attitude du joueur et la structure ludique du jeu. Dans "l'attitude", Henriot met des degrés d'engagement qui vont de : être dans l'illusion totale (immersion et implication maximum), jusqu'à : faire comme si on jouait ("sous couleur de jouer", dit-il) (immersion faible liée à la réflexion). Mathieu Triclot (2011) confirme aussi nos propositions en mettant en avant le critère du "rapport à l'image". Il est important que l'univers ludique proposé soit agréable et attrayant.
La possibilité d'addiction
Certes, vous avez gagné des points et réalisé quelques performances qui vous sont d'ailleurs signalées lors du "débriefing" final dans lequel vos coups sont analysés et commentés. Mais, vous voulez faire mieux. Comme à l'école lorsque vous remettiez vos quelques billes préservées en jeu, pour gagner celles des copains. Un jeu offre donc la possibilité de rejouer et de se prendre de passion.
Le serious game doit permettre au joueur de recommencer son parcours pour espérer éviter les erreurs qui lui ont été signalées ou pour espérer gagner tel ou tel badge plus intéressant. Le serious game peut offrir la possibilité de devenir addict et de rejouer plusieurs fois jusqu'à ce que le débriefing signale le parfait parcours et délivre la distinction suprême : le super badge. C'est à ce moment que, sans trop s'en douter, le joueur aura engrangé un certain nombre de savoir-faire et d'habiletés liés aux objectifs pédagogiques cachés du jeu.
Le serious game doit permettre au joueur de recommencer son parcours pour espérer éviter les erreurs qui lui ont été signalées ou pour espérer gagner tel ou tel badge plus intéressant. Le serious game peut offrir la possibilité de devenir addict et de rejouer plusieurs fois jusqu'à ce que le débriefing signale le parfait parcours et délivre la distinction suprême : le super badge. C'est à ce moment que, sans trop s'en douter, le joueur aura engrangé un certain nombre de savoir-faire et d'habiletés liés aux objectifs pédagogiques cachés du jeu.
La structure pédagogique invisible du jeu
Dans la "structure du jeu" (ce que les scénariste appelle : le "game"), Henriot met en avant la contingence totale de celui-ci ou sa logique implacable, tout en faisant remarquer que, dans un jeu "comme le morpion, il existe une part de contingence pour les néophytes et aucune contingence pour les habitués qui connaissent la logique du jeu...".
Dans le serious game, on ne peut guère envisager une structure totalement contingente car il s'agit de faire passer des apprentissages. Il y a donc un "modèle pédagogique" sous-jacent et, donc, le jeu a nécessairement une structure logique. Cette structure logique est plus ou moins apparente au joueur. Si elle est trop apparente, le jeu perd de son intérêt. Pour que le joueur la voit apparaître, il faudra, comme dans le jeu de morpion, qu'il rejoue de nombreuses fois.
Dans le serious game, on ne peut guère envisager une structure totalement contingente car il s'agit de faire passer des apprentissages. Il y a donc un "modèle pédagogique" sous-jacent et, donc, le jeu a nécessairement une structure logique. Cette structure logique est plus ou moins apparente au joueur. Si elle est trop apparente, le jeu perd de son intérêt. Pour que le joueur la voit apparaître, il faudra, comme dans le jeu de morpion, qu'il rejoue de nombreuses fois.
Le degré d'émotion suscité
Il y a un critère qui traverse tous les critères énoncés ci-dessus, c'est l'émotion suscitée par le jeu. Les jeux, lorsque l'on y joue, créent de l'émotion. Ce critère nous paraît devoir être mis en avant car, dans l'apprentissage par le jeu, c'est cette émotion qui est interpelée. C'est elle qui permet l'ancrage des choses apprises. L'état émotionnel suscité par la mise en scène doit favoriser la mobilisation des ressources et permet de faciliter l'engrammage des apprentissages réalisés sous cette forme mineure du stress. Ce "stress" qui est d'ailleurs appelé par les spécialistes : le "bon stress" : celui qui démultiplie les potentialités de réaction au service de la résolution du problème rencontré.
Si dans un serious game, vous êtes tout d'un coup, face à une épreuve, vous savez que si vous ne surmontez pas cette difficulté, votre manager et vos collègues seront prévenus que vous êtes tombé dans un des pièges tendus sur votre parcours d'apprentissage. Vous êtes donc, tout d'un coup, sous tension. Il y a toute une série d'enjeux de valorisation, de compétition, d'amour propre..., qui sont apparus.
Face à l'épreuve, vous perdez un peu de vos moyens. Puis les choses se mettent en place, vous commencez à vous maîtriser et à rentrer dans l'exercice imposé en faisant appel à vos ressources. Votre état émotionnel va être dépassé et vous allez mobiliser tout ce dont vous disposez pour surmonter l'épreuve. Vous êtes en phase aigue d'apprentissage, car vous êtes fortement impliqué dans la découverte de la bonne manière de faire.
L'échelle qualitative d'utilisation des critères retenus
Comme le mètre étalon déposé à Sèvres, une évaluation est souvent fonction d'une définition a priori. Celle que nous proposons est donc fondée sur les critères que nous avons discutés ci-dessus. Un jeu sérieux doit pouvoir être positionné dans une des cases de l'échelle ci-dessous. Ces cases sont définies en fonction de la plus ou moins grande présence des critères.
Très bon jeu sérieux | Bon jeu sérieux | Jeu sérieux moyen | Mauvais jeu sérieux |
Présence de 4, 5 ou 6 critères | Présence de 3 critères | Présence de 2 critères | Présence d’un ou de zéro critère |
Echelle de positionnement d'un jeu sérieux
Nous devons donc définir maintenant à quelle condition un des six "critères", sélectionnés ci-dessus, sera dit présent dans un jeu sérieux ?
Nous faisons alors intervenir un jugement porté par un ou plusieurs observateurs. On dira qu'un critère est présent s'il obtient une note moyenne qui le rapproche des notes 4 ou 5 dans une autre échelle constituée comme ci-dessous.
CRITERES | Très fort (5 points) | Fort (4 points) | Moyen (3 points) | Faible(2 points) | Très faible (1 points) |
Le degré de compétition proposé est jugé: |
Voici, ci-après, les notes moyennes d'une évaluation faite par dix personnes sur un serious game.
Nous dirons que le critère de "compétition" n'est pas présent, car la note obtenue est inférieure à 4 ; nous dirons, par contre, que le critère "Simulacre" est présent, car la note moyenne est supérieure à 4.
Dix managers joueurs ont testé et noté le jeu.
Nous dirons que le critère de "compétition" n'est pas présent, car la note obtenue est inférieure à 4 ; nous dirons, par contre, que le critère "Simulacre" est présent, car la note moyenne est supérieure à 4.
Dix managers joueurs ont testé et noté le jeu.
CRITERES | Très fort (5 points) | Fort (4 points) | Moyen (3 points) | Faible(2 points) | Très faible (1 points) |
Le degré de compétition proposé: | 2,6 | ||||
Le degré simulacre: | 4,3 | ||||
La plus ou moins grand possibilité d'addiction: | 2,8 | ||||
Le degré d'immersion permis: | 4,2 | ||||
La structure pédagogique invisible du jeu: | 4,7 | ||||
Le degré d'émotion suscitée: | 4,1 |
Exemple : évaluation d'un serious game
(moyenne sur 10 joueurs)
(moyenne sur 10 joueurs)
Sur le tableau ci-dessus, qui rassemble les échelles d'appréciation sur les six critères choisis, nous voyons que quatre critères obtiennent de bonnes notes (de 4,1 à 4,7 sur une échelle de 5 points). Pour notre exemple, nous pouvons donc cocher la case : "Très bon jeu sérieux".
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