Alex Mucchielli |
Entretien avec Alex Mucchielli
Expert en conception et scénarisation de serious game, habilité par le Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche.
Expert en conception et scénarisation de serious game, habilité par le Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche.
Go Serious :
Vous êtes le scénariste d'un serious game d'aventure stratégique sur-étagère : Les Nouvelles Aventures de Sindbad, destiné à la formation professionnelle des managers de proximité. Expliquez-nous comment on peut envisager un serious game sur-étagère ?
Alex Mucchielli :
Qui dit: sur-étagère, dit : s'attaquant à des problèmes génériques, à des problèmes typiques et récurrents, pour lesquels il existe des bonnes manières de faire, reconnues et mises au point par les experts internationaux.
Qui dit: sur-étagère, dit : s'attaquant à des problèmes génériques, à des problèmes typiques et récurrents, pour lesquels il existe des bonnes manières de faire, reconnues et mises au point par les experts internationaux.
Si je prends, par exemple, une formation à l'entretien de bilan annuel. Une procédure type du déroulement de l'entretien existe. Elle comporte les phases de l'entretien, les objectifs de chaque phase, les questions qu'il faut aborder, les attitudes qu'il faut avoir dans le dialogue, les synthèses, relances et conclusions qu'il faut savoir faire... Ces éléments de conduite et de savoir-faire fournissent les bases d'un modèle pédagogique que l'on va utiliser comme référent pour la construction de situations-problèmes servant d'épreuves au joueur-apprenant. Par ailleurs, les réactions du joueur-apprenant, lors des l'épreuves, seront évaluées par rapport à ce modèle.
Pour la formation des managers de proximité, il existe, comme pour la formation à l'entretien de bilan, de nombreuses situations-problèmes typiques, pour lesquelles il existe des bonnes manières de faire, qui vont servir de points de repère pour l'élaboration des épreuves de formation du joueur-apprenant et du modèle pédagogique d'évaluation.
Go Serious :
Que répondez-vous aux DRH et aux responsables de formation - ou même aux chefs d'entreprises- qui disent que chez eux, le sur-étagère, cela ne peut pas marcher, car ils ont des besoins spécifiques, compte tenu de leur cadres et de leur culture d'entreprise.
Alex Mucchielli :
Ils ont en partie raison. Je reprends mon exemple de l'entretien de bilan annuel. Ils peuvent très bien avoir mis au point une ou des procédures spécifiques de déroulement de cet entretien pour telle ou telle de leurs catégories de personnels managers. Ils disposent donc du guide des bonnes manières de faire et du modèle pédagogique, référent de la formation à donner. Ces éléments forts de la formation vont pouvoir être incorporés dans notre serious game sur étagère consacré à l'entretien de bilan. Ils vont modifier les situations-problèmes rencontrées par le joueur-apprenant, ils vont modifier l'offre des interventions proposées et vont aussi modifier le modèle pédagogique d'évaluation. Au total, à partir de la même superstructure du jeu d'aventure, nous aurons un serious game spécifique, car fonctionnant avec un modèle pédagogique adapté à l'entreprise.
Go Serious :
Vous dites : "ils ont en partie raison de refuser le serious game sur-étagère". Mais vous m'expliquez qu'ils ont totalement raison, puisque vous débouchez sur la réalisation d'un serious game sur mesure !
Alex Mucchielli :
Je dis "en partie", car, comme vous avez pu le remarquer dans mon explication, le serious game spécifique est élaboré à partir de la superstructure du serious game sur étagère. Il peut exister, parce que le serious game sur étagère fonctionne et lui fournit les éléments de base de ce fonctionnement.
Go Serious :
Mais, qu'est-ce que cela veut dire : "un serious game spécifique, élaboré à partir de la superstructure du serious game sur-étagère et de ses éléments de base de fonctionnement " ?
Alex Mucchielli :
Prenons, par exemple, le game design de notre serious game sur étagère et regardons comment il peut fournir des éléments de base au serious game spécifique. Nous considérons toujours que ce serious game est centré sur l’acquisition de la compétence : "maîtrise d'un entretien de bilan".
Prenons notre univers ludique de jeu : nous sommes dans un port de l'Italie de la renaissance et, Sindbad, jeune marin aventurier, revient prendre en main l'affaire d'import-export de son vieux père. Il rencontre une série de situations de management qu'il doit résoudre. La totalité de cet univers transposé sera gardée.
Prenons l’intrigue générale, c'est-à-dire : la stratégie globale du héros, ses objectifs et ses missions et le découpage de cette intrigue en situations-problèmes. Ce cadre du jeu sera quasiment identique : seuls les sous-objectifs de la maîtrise de la situation-problème : "entretien de bilan", varieront en fonction du nouveau modèle pédagogique.
Prenons la description des personnages et de leurs caractères : physique, histoire, enjeux et compétences… On pourra reprendre les mêmes personnages.
Prenons les règles de la jouabilité, c'est-à-dire : comment les personnages interagissent entre eux ? Ces règles sont en relation avec le moteur du jeu. Là encore le moteur du jeu sera le même. En fonction du modèle pédagogique et des parcours possibles offerts au joueur-apprenant, seules les modalités des interventions du joueur seront modifiées, toujours d'ailleurs, en fonction du nouveau modèle pédagogique.
Considérons enfin le modèle pédagogique sous-jacent et les règles de la pointification allant avec lui (gain et perte de points, jauges, badges... ). La structure externe de notre modèle pédagogique est explicitée sous la forme d'une double échelle : cinq ou six dimensions, représentant les objectifs des interventions du joueur-apprenant, dimensions sur chacune desquelles des points peuvent être perdus ou gagnés. Dans cette structure, seuls les noms des dimensions de l'échelle changent. Evidemment en fonction du nouveau modèle pédagogique fourni. Tout le reste fonctionne à l'identique.
Voilà comment on peut considérer que notre serious game sur étagère fournit les éléments de base du fonctionnement d'un serious game spécifique.
Go Serious :
Alex Mucchielli, après vos explications, une conclusion s'impose d'elle-même : le serious game va se développer, sous ses deux formes : sur étagère et spécifique. Quelles conséquences cela va-t-il avoir ?
Alex Mucchielli :
La plus importantes des conséquences concerne la relance de la formation professionnelle des managers : ils n'ont pas beaucoup de temps, ils sont lassés des formations présentielles qui reposent trop sur la relation avec l'animateur et qui ont peu de retombées professionnelles, ils sont déçus des formes classiques des e-learnings et ils attendent que leurs entreprises leurs proposent des formations vraiment innovantes. Le serious game d'aventure, dans un univers ludique et transposé, offre, désormais, cette solution attendue.
Go Serious :
Justement, l'introduction du ludique dans la formation, n'est-ce pas une mode et un leurre de facilité, obérant l'efficacité recherchée ?
Alex Mucchielli :
Ma réponse repose sur les deux expérimentations que nous avons menées avec des directeurs et des chefs de service de deux grandes entreprises. Après les plays tests réalisés, que nous ont dit ces personnes ? Qu'ils étaient agréablement surpris, voire enchantés de découvrir cette nouvelle modalité de formation : innovante, captivante, riche, convivial, amusante, apportant de la respiration... Qu'ils la recommandent fortement pour leurs subordonnés et qu'ils la prendront même pour eux. Les dialogues les ont impliqués et ils ont jugés les débriefings fortement pédagogiques dans leur originalité. Le ludique, dans de tels serious games, c'est la réintroduction dans l'apprentissage, de la force du jeu. Ce n'est pas la rigolade, c'est l'immersion, l'émotion et, au final, l'oubli des apprentissages demandés qui se font alors, "par la bande", quasi-inconsciemment !
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